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L’ombre est chaude, comme un sein sous la joue ;
De larges gouttelettes
Choient des branches, infatigablement,
Et les roses et les iris vont se pâmant,
Sur des lits bleus de violettes.

Je me suis embarqué dans une île éclatante
De pampres verts et de raisins vermeils,
Les arbres en sont clairs et leurs branches ballantes
Semblent, de loin en loin, des drapeaux de soleil.
Le bonheur s’y respire, avec sa violence
De brusque embrasement et de torride ardeur,
Le soir, on croit y voir s’entremordre les fleurs
Et les torches des nuits enflammer le silence.

— Y viendras-tu jamais, toi, que mes vœux appellent
Du fond de l’horizon gris et pâle des mers,
Toi dont mon cœur a faim, depuis les jours amers
Et les saisons d’antan des enfances rebelles ?

Mon île est harmonique à ton efflorescence,
0ù que tu sois accepte, ainsi que messagers
Partis vers ta beauté sans pair et ta puissance,
Les parfums voyageurs de ses clairs orangers.