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Et quand ton corps houleux sous le mien bouge,
Je m’attriste déjà de mes prochains remords.
J’ai trop souffert en mon cerveau fragile,
J’ai trop voulu, j’ai trop tenté, j’ai trop pensé,
J’ai trop hâtivement versé
Les ors de mon orgueil en des vases d’argile.
Ô toi l’insouciance, ô toi qui dors en paix,
Ô toi qui dans ta chair crois enfermer le monde
Et la tempête humaine en tes cheveux épais,
Femme d’amour féroce et de force profonde
À quel breuvage enivrant et léger,
Un jour, mêleras-tu le philtre partagé ?

— Approche ami, et guéris-toi de ta cervelle !
Mon seul secret est vivre et vivre et vivre encore.
Je n’ai crainte de rien, pas même de la mort,
Puisque tu dis qu’elle est féconde et renouvelle ;
Le seul instant qui luit est mon seul désir ;
Et je l’épuise et le rejette et le dédaigne,
Pour m’en aller, sans un regret, vers l’avenir ;
Que l’aube pleure ou que le couchant saigne,
Je ne vois rien de leur douleur ;
Un méridien soleil me ravage le cœur,
Je vais éperdument du côté de la joie,