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Hommes, femmes, amis, enfants, dès qu’il les aime
Malgré sa volonté, lui deviennent esclaves ;
Il pétrifie en eux l’amour, comme les laves
D’un mont torride et fou brûlent un pays blême.

Il est monté si haut que nul ne l’a suivi.
En vain, il cherche un Dieu : son cœur ne le sent pas,
Sa volonté s’égare — et son désir est las
Et son orgueil est fatigué d’être assouvi.

Lui-même est devenu son négateur. Sa flamme
Sombre brûle le bloc en or de sa puissance,
Grâce à cette âcre et trépidante jouissance,
Qu’il goûte à blasphémer ce que le monde acclame.

Il vit pourtant sans rien montrer de son effroi ;
Muet comme un palais gardé par des soldats,
Où seul s’entend toujours, veillant et lourd, le pas
De celui-là dont le pennon claque au beffroi.

Il reste à tous sacré. Une force divine
Semble muscler de bonheur vierge et clair, sa force ;
Il est tragique et clos comme l’arbre sous l’écorce
Et rien ne s’aperçoit et rien ne se devine.