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Le baiser ferme et cru court soudain sur leur peau,
Leurs corps l’un de l’autre s’enivrent,
Leur désir retenu, ainsi qu’un chien sous l’eau,
Mord, s’affole, et se délivre.

Mais jusqu’au moindre râle et jusqu’au moindre cri
De leurs deux spasmes réunis
Tout s’étouffe dans l’ombre et le vent qui circule
De meule en meule au crépuscule.

Et maintenant que s’en viennent des bourgs lointains
Ceux qui transporteront les graines et les pailles
Vers les granges où l’on travaille :
Les meules ont vécu leur gloire et leur destin.
Elles croulent l’une après l’autre au soir penchant
Dans le vide tragique et ténébreux des champs.

Et le sol reverdit de ses herbes sans nombre
Et seuls les amants clairs qui forgent l’avenir
Gardent encor dans leur cœur fou le souvenir
Des meules projetant à l’infini leurs ombres.