Page:Verhaeren - Les Blés mouvants, 1912.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

 
Les grains sont tournés au dedans,
Mais au dehors pointent les pailles
Avec leur lame aiguë,, avec leur bout mordant,
Comme des lances en bataille.

Chaque meule est dard et couteau
Contre ce qui tord, use ou casse,
Contre les poings du gel et les griffes de l’eau
Et les grands vents trouant l’espace.

Ainsi, pendant les mois de rage ou de torpeur,
Se recueille, sans défaillir, leur force close.
Le grain qui doucement au fond d’elles repose,
Y vit d’une vie ample et sourde comme un cœur.
Loin du bourg où retentissent les attelages
Et qui tille le chanvre et qui bat le méteil,
Avec leurs chaumes d’or sous un pâle soleil,
Elles forment là-bas, comme un autre village ;
Le silence circule autour d’elles, et lent,
S’en vient dormir le soir auprès du blé qui rêve.