Page:Verhaeren - Les Ailes rouges de la guerre, 1916.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Les plus anciens du bataillon nous avaient dit
Qu’il avait retenti à Marengo, jadis,
Et vous comprenez tous que nous fîmes merveille
Quand il chantait, matin et soir, à notre oreille.
J’ai tué pour ma part dix Prussiens à la fois,
Autant qu’à mes deux mains j’ai d’ongles et de doigts.
J’étais alerte à les frapper en plein visage.
Le plus jeunet était un homme de mon âge
Et le plus vieux, dont le front mort était béant,
Couvrait la terre avec un geste de géant. »

Et tapotant soudain sa pipe presque éteinte
À petits coups, pour la vider contre la plinthe,
Les jeux mouillés par le rappel des souvenirs :

« Nous seuls, en ce temps-là, savions vraiment mourir !
Ne pouvant ni ployer, ni dompter la victoire,
Nous voulions que la mort nous trompât sur la gloire
Nous nous battions plus exaltés que des héros.
Certes, sans nul profit, mais fiers que notre peau