Page:Verhaeren - Le Crime allemand, 1915.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LE CRIME ALLEMAND


Leurs noms sont lumineux de pays en pays :
Dans les foyers où l’homme et la femme travaillent,
Où la fille est la servante des plus petits,
Leur image à deux sous s’épingle à la muraille.

On les adore : ils sont puissants, simples et droits,
Avec la pitié grande en leur âme profonde.
Et quand s’étend, en sa totale ampleur, leur voix,
Elle recouvre au loin de sa force, le monde !

Et l’on disait encor :
Eux seuls tissent les rets où sera pris le sort :
Qu’un roi hérisse un jour, de ses armes, la terre,
Leur unanime entente arrêtera la guerre.
Ne sont-ils point les rocs rugueux, têtus et lourds,
Dont le grand fleuve humain épouse le contour
À chacune de ses marées
Tour à tour vers la terre ou la mer attirées ?

Ainsi
S’abolissaient la peur, le trouble et le souci
Et s’affirmait la foi en la concorde ardente.
La paix régnait déjà, normale et évidente,
Comme un déroulement de jours, de mois et d’ans.
On se sentait heureux de vivre en un tel temps
Où tout semblait meilleur au monde, où les génies
Juraient de le doter d’une neuve harmonie,
Où l’homme allait vers l’homme et cherchait dans ses yeux
On ne sait quoi de grand qui l’égalait aux Dieux,
Quand se fendit soudain — en quelle heure angoissée !
Cette tour où le rêve étageait la pensée.

— VI —