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arrière-boutiques de marchandes à la toilette, de piteux bric-à-brac en plein vent. Il a vagué par des vallées de misère où lui apparaissaient des pierrots malades, des arlequins en goguette, des colombines soûles. Parfois, comme un ménétrier fantasque, il montait sur un tonneau et sur la place de je ne sais quelle ville du pays de Narquoisie, il agitait, au son d’un rebec invisible, en un trémoussement soudain, toute cette joie lugubre et bariolée. Il pleurait peut-être lui-même en peignant tel masque hilare ou souriait en dessinant telle tête de mort. Les contrastes les plus aigus devaient lui plaire et il les réalisait en oppositions violentes, les rouges, les bleus, les verts, les jaunes se donnant comme des coups de poings sur la toile. L’art d’Ensor devint féroce. Ses terribles marionnettes exprimaient la terreur au lieu de signifier la joie. Même quand leurs oripeaux, arboraient le rose et le blanc, elles semblaient revêtir une telle détresse, elles semblaient incarner un tel effondrement et représenter une telle ruine qu’elles ne prêtaient plus à rire, jamais. J’en sais d’une angoisse de cauchemar. Et la camarde se mêla à la danse. Le squelette lui-même devint tantôt pierrot, tantôt clodoche, tantôt chienlit. Masque de vie ou tête de mort s’identifiaient. On ne songeait plus à quelque carnaval lointain d’Italie ou de Flandre, mais à quelque géhenne ou les démons se coiffaient de plumes baroques et s’affublaient de draps-de-lit usés, de bicornes invraisemblables, de bottes crevées et de tignasses multicolores. C’est pendant les mauvais jours de sa vie que James Ensor donna cette signification pessimiste à ses fantoches.

Dans ce pays imaginaire, d’où la farce classique