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par des liens psychiques, ces architectures marines avec leurs silhouettes baroques et compliquées, au monde étrange de ses masques et de ses squelettes. Tout cela peuple sa mémoire et fixe et détermine son désir presqu’au même titre.

Sur tel panneau, on croit surprendre la vie des mollusques au fond même de la mer. Il date de 1895. Un grand coquillage bistre domine, la pointe en l’air, comme en pyramide, d’autres coquilles, les unes vertes, les autres roses, et cet arrangement comme maladroit semble le fait même de ces bêtes lentes et visqueuses. Le dessin en est très ferme et comme écrit. Il insiste sur chaque circonvolution et sur chaque spirale. Et voici — contraste brusque — deux bulbeuses et légères grappes de raisin, l’une bleue et l’autre rose-cerise, avec un oignon, une noix et une poire, la queue dressée. Ensemble presque transparent. Il est si frais, si lucide, si délicat qu’on le dirait comme baigné de rosée.

L’entrée dans le royaume des masques dont James Ensor est roi, se fit, lentement, inconsciemment, mais avec une sûre logique. Ce fut la découverte d’un pays, province par province, les lieux pittoresques succédant aux endroits terribles et les parages tristes prolongeant ou séparant les districts fous. Grâce à ses goûts, mais aussi grâce à son caractère, James Ensor n’a vécu pendant longtemps qu’avec des êtres puérils, chimériques, extraordinaires, grotesques, funèbres, macabres, avec des railleries faites clodoches, avec des colères faites chienlits, avec des mélancolies faites croque-morts, avec des désespoirs faits squelettes. Il s’est improvisé le visiteur de lamentables décroche-moi-ça, de malodorantes