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créer cette virginité et à l’imposer à leur œuvre ; ils s’y étaient pris empiriquement, en se fiant à la subtilité et à la délicatesse de leur œil. Les nouveaux-venus, jugeant cette conquête incomplète, purifièrent en quelque sorte cette pureté hésitante et tâtonnante et grâce aux découvertes scientifiques la proclamèrent certaine et sûre. Et leurs toiles étaient en effet lustrales plus que nulle autres. On eût dit qu’elles portaient en elles la grâce d’un éclatant et violent baptême.

Dans son Entrée du Christ à Bruxelles on peut croire qu’à son tour, comme pour défier le néo-impressionnisme, Ensor ait voulu rebaptiser sa peinture. Il en a augmenté encore et vivifié la clarté. Et les principales étapes qu’il suivit pour aboutir à cette victoire furent, comme nous l’avons dit, le Chou (1880), la Mangeuse d’huîtres (1882) et les Enfants à la toilette (1886). Son évolution entière fut donc longuement préparée, logique et personnelle.

Le sujet du Christ faisant son entrée à Bruxelles peut certes déplaire. On y voit l’homme-Dieu mêlé grotesquement à nos pauvres, féroces et actuelles querelles. Il assiste au défilé mouvant et tumultuaire des revendications politiques et sociales, comme un banal élu — bourgmestre, échevin, député — un jour de manifestation déchaînée. Il voit passer les fanfares doctrinaires, les charcutiers de Jérusalem et des banderoles et des drapeaux se déroulent et inscrivent en leurs plis « Vive la Sociale et vive Anseele et Jésus » .

À ne juger que la plastique et la forme, l’œuvre fourmille de défauts, mais la couleur en est triomphante. Les bleus, les rouges, les verts, soit juxtaposés,