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le coin de la toile, presque indistincts, roulés comme des épaves, tandis que seul l’orage que leur misère et leur fragilité ont suscité, occupe les quatre points de l’espace.

L’effet surnaturel est produit sans que la couleur se mélodramatise de violentes oppositions de noirs et de clairs. La tonalité générale reste lumineuse, magnifiquement. On y surprend quasi de la délicatesse. Mais les lignes tumultueuses sont bien appropriées au sujet et la fougue des touches émerveille.

En 1891 le Christ apaisant la tempête continue la série des œuvres légendaires. Le ciel et la mer, qui se rejoignent à l’horizon, se présentent en cette toile comme un énorme coquillage bivalve qui serait entr’ouvert et dont les deux parois internes contiendraient les nuées et les eaux. Le personnage, invariablement à droite du tableau, comme dans le Christ marchant sur les eaux et dans Adam et Ève chassés du Paradis, indique chez le peintre un souci de composition presque uniforme. La science, l’équilibre, le prolongement heureux des arabesques, tout ce qui constitue la combinaison étudiée et heureuse ne l’inquiètent guère. Il voit d’un coup, comme si quelque brusque rideau s’ouvrait, et il rend ce qu’il voit, sans plus. C’est ainsi que procèdent les voyants.

On peut rattacher à ce cortège de paysages animés de légende et d’histoire quelques autres pages : le Feu d’artifice (1887) et le Domaine d’Arnheim (1890).

Une gerbe jaune, immense se projette sur un ciel bleu foncé comme si tout à coup s’ouvrait un cratère. Effet très simple. On dirait que la fureur des tempêtes