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Rubens, de Snyders et de Jordaens et que la peinture puissante et truculente, ferme et savoureuse, qu’il prônait n’était autre que la peinture flamande elle-même.

Dans la Coloriste la couleur n’est plus comme dans le Lampiste distribuée par larges plans. Au contraire. Elle se divise, se dissémine, se parsème. Sans le tact d’Ensor la multiplicité des verts, des rouges, des bleus, des jaunes aboutirait à quelque papillotage. Les écrans peints ne seraient qu’un assemblage de fusées et le tableau mentirait à son titre. Mais le peintre a voulu que la Coloriste enseignât ce que doit être une toile bien venue. Sur un fond, où les roux et les gris établissent leurs accords profonds et solides, les tons clairs et multicolores chantent, avec justesse et variété, leurs notes hautes et vives et chacune d’elles s’appuie, avant de s’élancer vers la joie, sur le tremplin des vigoureuses sonorités fondamentales. L’ensemble tient de l’un à l’autre bout de la toile, les liens subtils, qui unissent les teintes entre elles comme les notes d’un page de musique heureusement écrite, se serrent et se nouent partout.

La Musique russe (Salon de Bruxelles, 1881 et les XX, 1886) représente le peintre Finch assistant à quelqu’audition musicale qu’une pianiste lui donne. L’œuvre est plus qu’un portrait. L’auditeur, assis sur une chaise, se croise les jambes, rejette légèrement le corps en arrière, détourne aux trois quarts la tête et, dans cette pose attentive et tendue, écoute. Ce sont des gris délicats rehaussés ci et là d’une couleur plus vive qui constituent l’harmonie en demi-teinte du tableau. Aucun accent violemment sonore, mais une succession de nuances et de touches assourdies comme si la musique frêle,