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II.

LES DÉBUTS

L’époque pendant laquelle débuta James Ensor fut pour la patrie, un laps de temps héroïque et fécond. Aujourd’hui qu’il est loin, il apparaît quasi légendaire.

Un miracle se fit tout à coup. Le pays, habitué à ne produire que des peintres, suscita des sculpteurs et parmi eux un génie : Meunier. Bien plus ; la Belgique hostile aux lettres et vouée depuis longtemps à la littérature des parlementaires et des journalistes, se para d’une floraison de poètes.

Les coutumes furent à tel point bousculées, les réputations assises à tel point secouées sur leurs sièges, qu’il y eut comme un tremblement des cerveaux. On n’osait y croire ; on n’y croyait pas. Notre sol qui se couvrait du seigle annuel des lucratives affaires et du froment régulier des prospères négoces ne pouvait tout à coup se modifier assez profondément pour nourrir de sève et exalter vers la lumière des odes belles comme des chênes et des idylles fragiles et jolies comme des arbustes. L’extraordinaire fut taxé d’impossible et des « bouches autorisées » déclarèrent qu’en tous cas le prodige n’aurait pas de suites.