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que pour la montrer pareille au tronc massif et souterrain sur lequel se entent, comme des branches, toutes les autres vertus esthétiques.

James Ensor est plus purement un peintre que Manet, mais ce dernier est évidemment un maître et un artiste d’une plus large et plus souveraine envergure. Il est un chef d’école magnifique, définitif et complet. Il commande à un des carrefours de l’art où les routes bifurquent et gagnent des contrées vierges et inconnues.

Je n’ai, au surplus, mis en parallèle les deux peintres que pour défendre James Ensor contre des accusations d’imitation. Qu’on fasse voisiner n’importe laquelle de ses toiles avec l’Olympia, le Déjeuner sur l’herbe, le Père Lathuille, Argenteuil, Pertuiset et l’originalité des deux créateurs d’œuvres marquantes s’imposera indiscutable.

Mais un autre rapprochement s’indique. Les récents intimistes français, les Vuillard et les Bonnard s’attachent aujourd’hui à certaines recherches qu’autrefois tenta James Ensor. Tels éclairages de salon ou d’appartement, telles lueurs argentées et discrètes, tels gris, tels bruns font songer à l’atmosphère de la Coloriste ou à la Musique russe. Il n’est pas jusqu’au dessin vacillant et brouillé qui n’établisse un parentage entre les deux manières. Je veux bien qu’il n’y ait que rencontre fortuite. Il est piquant toutefois de noter ceci : Si James Ensor rappelle quelque peintre, c’est parmi ses cadets, parmi ceux qui innovent et préparent l’avenir et non point parmi ses aînés qu’il le faut chercher. Il n’est pas de ceux qui imitent ; il est de ceux qui découvrent. Il est plutôt d’accord avec ceux qui viennent, qu’avec ceux