Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dirait qu’Ensor écoute la couleur tellement il la développe comme une symphonie.

Jamais ne s’y mêle la moindre fausse note. Il a l’œil juste comme est juste l’oreille d’un musicien. À le voir peindre, comme au hasard, on craint qu’à chaque instant la gamme profonde et rayonnante des couleurs ne se fausse. Or jamais aucun accroc n’a lieu. L’instinct, le guide le plus sûr des artistes, bien qu’il paraisse un conducteur aveugle, l’assiste sans qu’il s’en doute et le décide, quand à peine il prend le temps de le consulter. Avant de poser un ton, il est sûr que ce ton sera d’accord avec les autres. Il le sent tel, à travers tout son être. À quoi bon examiner, discuter, raisonner, si l’examen, la discussion et le raisonnement se sont faits, préalablement, sans qu’on le sache, avec la promptitude que met un éclair à traverser le ciel. L’aptitude en art n’est jamais un acquis, mais un don. Elle est subconsciente et sourde. Celui qui naît sans qu’elle habite en lui à l’instant même qu’il voit, entend, flaire, goûte et touche, ne sera jamais un artiste authentique. Aucune étude ne la lui apportera. Des races privilégiées la transmettent à leurs différentes écoles, à travers les siècles. L’une de ces races est l’admirable race des Pays-Bas.

Il s’en faut pourtant que leur instinct merveilleux soit l’unique don des peintres septentrionaux. Ils n’auraient pas donné à l’art ces artistes universels qui ont nom Rubens, Van Dyck, Jordaens et avant eux Van Eyck, Memling, Van der Goes, Van der Weyden et Metsys si l’intelligence, le sentiment, la raison et la volonté leur eussent été refusés.

Je n’ai insisté sur leur qualité foncière : l’instinct,