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page est faite d’après des recettes connues. Bien qu’il soit un peintre admirable, encore n’évite-t-il pas les sécheresses et les duretés. Il ignore l’abondance et la richesse prodiguées. La réflexion et le raisonnement le guident plus que l’instinct ne le pousse. Il a une main très experte, très habile. Il fait preuve d’esprit, parfois de virtuosité. Son intelligence surveille son art et le raffine. Il pense autant et plus encore qu’il ne voit. Quand, séduit par les visions fraîches et hardies de Claude Monet, il se décida à modifier les couleurs de sa palette et à traduire le plein air vrai et la clarté prismatique et vivante, ce fut par une suite de tâtonnements réfléchis qu’il y parvint. Il cherchait sans trouver, du coup. Ce fut une lutte avant tout intelligente. Il lui fallut non seulement des qualités d’œil, mais des qualités de caractère. Son esprit, son jugement, son obstination, sa probité, tout son être moral et pensant agit : ce fut un triomphe laborieux.

James Ensor, lui, n’est purement qu’un peintre. Il voit d’abord, il combine, arrange, réfléchit et pense après. Il ne doit rien ou presque rien aux maîtres du passé. Il est venu en son temps pour ne recevoir que les leçons des choses. Certes, sa mise en page le préoccupe, mais ses compositions évitent de rappeler celles que les musées enseignent. L’esprit qu’il met dans ses toiles et ses dessins est plutôt grossier et populaire. Son trait de pinceau est appuyé ; il ne glisse pas. Il n’est pas adroit. Toutefois sa couleur n’est jamais commune. En chaque œuvre le ton rare et riche, violent et doux, prismatique et soudain, installe sa surprise et son harmonie. On