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sans quitter la terre natale, ce que leurs émules s’en vont chercher au loin. Ensor peut se ranger parmi ceux-ci. Déjà Pantazis et Vogels s’étaient signalés. Ils s’étaient posés le problème de la lumière et l’avaient élucidé si pas résolu. Vogels surtout s’était affirmé avec une audace violente et spontanée. Il avait des dons admirables d’improvisateur ; il possédait la fougue et l’éclat. Ses ciels tumultueux, ses paysages tragiques s’affranchissaient de toute convention stérilisante. Il eût été un grand peintre, si l’insuffisance de son métier ne l’avait desservi.

Ensor plus dominateur en son art, avec une vision plus aiguë et plus fine, avec un instinct magnifiquement développé, avec une invention plus large et plus abondante, cultiva le même champ que Pantazis et Vogels, mais il y suscita des fleurs de lumière d’une beauté plus rare, plus rayonnante et plus subtile. Lui ne ressemble à personne. Ses premières œuvres contiennent déjà en puissance toute sa force future. On ne les confond avec nulles autres. Elles s’imposent d’elles mêmes. Elles sont indépendantes, fières, libres.

Au temps où elles éclatèrent, avec soudaineté et presque avec insolence, Manet occupait activement la critique d’avant-garde. Aux Salons triennaux de Bruxelles, d’Anvers et de Gand, la toile intitulée Au Père Lathuille avait ameuté autour d’elle toute l’ignorance et la raillerie publiques. Il était séant qu’on s’en scandalisât. Le rire et le sarcasme étaient exigés comme un gage d’honnêteté bourgeoise et de bon goût provincial. Certes, eût-on détérioré l’œuvre, si l’aventure judiciaire