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méandres, les fleuves de verve tumultueuse et de raillerie agitée que l’artiste charrie à travers ses œuvres, avec leurs boues frappées de soleil, leurs folles herbes tournoyantes et leurs charognes magnifiques. Vienne, Zürich, Liège, Barcelone, Milan, Venise, Ostende, Dresde, Paris possèdent, en leurs collections publiques mainte eau-forte du graveur. M. Eugène Demolder en une critique pénétrante et renseignée, M. Coquiot dans sa préface au livre des masques, M. Vittorio Pica, là bas, en Italie, dans les revues et jean Lorrain, dans le roman étrange, précieux et faisandé de M. de Phocas, ont longuement et ardemment célébré tels ou tels cuivres du peintre. Voici ceux qui ont le plus souvent sollicité la critique.

La Cathédrale (1886). Serrée, compacte, myriadaire, une multitude s’avance moins avec ses jambes, ses bras, son corps qu’avec ses visages, vers on ne sait quel but. Elle bouge non pas individuellement, mais totalement, d’un énorme mouvement d’ensemble et c’est comme si la masse humaine entière s’ébranlait. Au milieu d’elle une église avec ses grandes tours, avec l’élancement de ses ogives, avec ses toits et ses clochetons, une église légère, triomphante, aérienne est plantée et domine. Au loin se devinent d’autres architectures, des surgissements de flèches, des hampes géantes et des drapeaux. On songe à une colossale fête séculaire, à quelque anniversaire prodigieux. Le spectacle est épique.

Et cette impression est donnée non pas avec force, mais avec légèreté et délicatesse. Le burin fourmillant a creusé partout mais jamais sa pointe ne fut rude ni acharnée. On dirait le travail d’un clan de mouches ou