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endormi dont la bouche entr’ouverte est d’une vie si vraie et dont l’œil est si délicieusement clos. Comme on sent le sommeil et non la mort !

Rendre la matière, scrupuleusement, fut la tâche qu’Ensor s’assigna dans tels dessins : ferrailles, armoires, clefs, rideaux, étoffes, lustres, coffrets. Il y réussit, sans se tromper jamais. Son crayon fouille, comme un outil sûr, les fibres et les nœuds du bois ou rend avec bonheur l’usure des bosses et des reliefs. On pourrait deviner si tel meuble est en chêne ou en noyer. Assurément — tant l’exactitude est grande — s’aperçoit-on s’il est plaqué d’acajou. Les ornements d’acier ou de cuivre sont creusés dans leurs ombres ou caressés sur leurs lueurs ; un rinceau, une courbe, une volute est rendue avec dextérité. Autant le pinceau est léger et souple à fleur de toile, autant la pointe est insistante et vigoureuse sur le champ des feuillets. De même l’ampleur lourde et molle d’un rideau de laine qu’une grosse cordelière retient est offerte au toucher et semble pouvoir renfermer en ses plis jusqu’aux mites et aux poussières. Bien plus. Ces dessins, encore que littéraux, sont doués d’une vie ample. Ils n’ont rien d’industriel. Si pour James Ensor certains meubles sont hantés, tous les objets frissonnent, bougent, sentent. La cruauté séjourne dans le couteau, la discrétion dans la clef et le fermoir, le repos et la sécurité dans le bois. Rien n’est mort, complètement. Chaque matière renferme en elle sa tendance, sa volonté et son esprit. Elle est créée pour un but. Elle doit donc avoir comme une âme qui tend à une fin et c’est précisément cette âme qui seule nous intéresse dans l’inanimé et qui seule constitue, aux yeux