Page:Verhaeren - James Ensor, 1908.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyant bouger lentement et pesamment la bête torpide et douce. Enfin dans un Duel de masques l’idée de lutte, de fureur et de férocité est raillée à son tour.

Toutes ces petites toiles sont franches, sincères, nerveuses. L’ostéologie des squelettes est amoureusement étudiée. Parfois sur leur crâne lisse se distinguent des lignes pareilles à celles des cartes de géographie et l’on peut croire que le peintre se plaît à inscrire le monde sur l’os d’un front. Le trou des yeux est approfondi. On y surprend, dans le vide, on ne sait quelle fixité qui donne l’illusion d’un regard. Ce n’est certes plus le squelette tel que le comprenait le moyen-âge. C’est plutôt celui qui sort des cabinets d’anatomie, des laboratoires et des hôpitaux. Il ne fait pas songer à tel macabre philosophe qui moralise dans la danse de Holbein ou dans les fresques de la Chaise-Dieu ; il n’est pas chrétien. Il s’est renouvelé ; il est de notre temps. Il représente non plus les croyances, mais les idées et les sentiments.

Même dans ses Tentations de Saint-Antoine, Ensor ne prétend ni prêcher ni évangéliser. Le tohu-bohu de ces apparitions charme presque et devient, en ce sujet légendaire, quasi bon-enfant. Le peintre adore y semer des corps de femmes grosses et cocasses, des diables fluets et malins, des monstres improbables et ridicules. Le pittoresque de ce cauchemar chrétien le tente plus que son horreur. Et c’est en dilettante de l’impossible qu’il s’y affirme et non pas en vengeur du vice ou en champion de la vertu. Il cultive l’angoisse, ailleurs. Il la cultive en lui-même. Dans le Portrait du peintre entouré de masques (1899), appartenant à M. Lambotte,