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234 CORRESPONDANQE. 89. — VAUVENARGUES A VOLTAIRE. A Nancy, let! avril {N3. Monsieur , ` Je suis au desespoir que vous me forciez a respecter Corneille : je relirai les morceaux que vous me citez; et, si je n’y trouve pas tout le sublime que vous y sentez, je ne parlerai de ma vie de ce grand homme, afin de lui nendre, au moins par mon silence, l’hommage que je lui derobe par mon faible gout. Permettez-moi cependant, Monsieur, de vous repondre, sur ce que vous le comparez a Archimede, qu’il y a bien de la difference entre un philosophe qui a pose les premiers fondements des verites geometriques, sans avoir d’autre modele que la nature et son profond genie, et un homme qui, sachant les langues mortes, n’a pas meme fait passer dans la sienne toute la perfection des maitres qu’il a imites. Ce n’est pas créer, ce me semble, que de tra- vailler avec des modeles, quoique dans une langue diffe- ’ rente, quand on ne les égale pas. Newton, dont vous par- lez, Monsieur, a ere guide, je l’avoue, par Archimede, et par ceux qui ont suivi Archimede; mais il a surpasse ses guides; partant, il est inventeur: il faudrait donc que Cor- neille ent aussi surpasse ses maitres pour etre au niveau de - Newton, bien loin d'etre au-dessus de lui. Ce n’est pas que je lui refuse d’avoir des beautes originales, je le crois; mais Racine a le meme avantage. Qui ressemble moins a Cor- neille que Racine? Qui a suivi une route, je ne dis pas plus dilferente, mais plus opposee? Qui est plus original que lui? En verite, Monsieur, si l’on peut dire que Corneille a cree le theatre, doit-on refuser a Racine la meme louange? Ne vous semble·t—il pas meme , Monsieur, que Racine, Pascal, Bossuet, et quelques autres, ont cree la langue fran- caise? Mais, si Corneille et Racine ne peuvent pretendre a