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_ 242 CORRESPONDANCE. 8h. -— LE MEME A M. DE VOLTAIRE. A Nancy, le 4 avril t743. . Il y a longtemps, Monsieur, que j’ai une dispute ridicule, et que je ne veux finir que par votre autorité : c’est sur ` une matiere qui vous est connue. Je n’ai pas besoin de vous prévenir par beaucoup de paroles : je veux vous parler ab deux hommes que vous honorez, de deux hommes qui ont partagé leur siecle, deux hommes que toutle monde admire, en un mot, Corneille et Racine'; il suiiit de les nommer. Apres cela, oserai-je vous dire les idées que j’en ai formées? en voici, du moins, quelques-unes. Les heros de Corneille disent de graudes choses sans les inspirer; ceux de Racine les inspirent sans les dire; les uns parlent, et longuement, afin de se faire connaitre ; les autres se font connaitre parce qu’ils parlent. Surtout, Corneille parait ignorer que les hommes se caractérisent souvent da- vantage par les choses qu’ils ne disent pas que par celles qu’ils disent. Lorsque Racine veut peindre Acomat, il lui fait dire ces vers : ` Quoi! tu crois, cher Osmin, que ma gloire passée · Platte encor leur valeur, et vit dans leur pensée? Crois-tu qu’ils me suivraient encore avec plaisir, Et qu’ils reconnaltraient la voix de leur visir •? L’on voit, dans les deux premiers vers, un général dis- gracié, qui s’attendrit par le souvenir de sa gloire et sur Pattachement des troupes ; dans les deux derniers, un rebelle qui médite quelque dessein. Voila comme il échappe aux ` hommes de se caractériser, sans aucune intention marquée. On en_ trouverait un million d’exemples dans Racine, plus sensibles que celui-ci; c’est la sa maniere de peindre. ll

  • Voir Corneille et Racine, dans lcs Réferione critiques sur qwlques pain-:.

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