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a répondre, et je cherchais la cause de votre silence. Enfin, j’ai recu votre lettre; elle me fut rendue, hier, fort sale et fort chiffonnée. Vous me faites un plaisir sensible, eu me proposant de vous écrire avec confiance : mon esprit se fatiguait a lutter contre sa paresse; vous aurez moins d’avantage sur mes sentiments; je crains plutot d’en avoir trop sur vous. Je ne saurais cependant me plaindre de votre amitié; il est bien flatteur pour moi qu’elle se soutienne parmi vos langueurs, et qu’elle se sauve de leur contagion. Je vous plains, mon cher Mirabeau, de vous etre lié d’une si forte chaine ’; si j’étais aupres de vous, je ferais mettre des chevaux a votre chaise, et je vous menerais a Paris ; mais je ne m’aviserai pas de ·vous conseiller de cent lieues, sachant combien les conseils out peu de force, en pareille occasion; car, pour moi, jen’ai jamais été amoureux, que je ne crusse l’etre pour toute ma vie; et, si je le redevenais, j’aurais encore la meme persuasion. On sent assez qu’on est malade, mais on ne veut pas guérir; l’5.me est remplie de son objet; les autres ne la touchent point; on soulfre, on connalt sou mal, mais on ne saurait s’en distraire. Oh trouver d’ai1leurs de l’appui, du plaisir, de Yamusement? Le temps fait ensuite ce que la raison et l’esprit ne peuvent pas ; cette pensée nous humilie; néanmoins, rieu n’est si vrai ; alors on rougit de ses folies, et on reprend son caractere, ses vues, ses inclinations. Vous savez, mon cher Mirabeau, comme je pense a votre égard; mais je ne crois pas que vous ayez assez de force d’esprit pour briser tout d’un coup vos liens, et fuir bien loin de Bordeaux, dans l’état ou est votre cosur. Si vous aviez ce courage, j’en prendrais peut·étre de la jalousie, et je n’aimerais pas que vous joignissiez cet avantage a ceux que deja vous avez sur moi. Ainsi, je ne vous dirai rien, et je me bornerai a vous remercier de votre confiance ; l’aveu que vous me faites de votre passion flatte bien ma vanité : vous n’avez pas craint,

  • On verra, des la lettre suivante, que la chaîne n’était pas aussi forte que le pensait l’honnête Vauvenargues. — G.