Page:Vauquelin - L’Art poétique, éd. Genty, 1862.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 22 —

On a tousiours permis, est, et permis sera
Faire naislre vn beau mot, qui représentera
Vne chose à propos, pourueu que sans contrainte
Au coin du temps présent la marque y soit emprainte.
Comme on void tous les ans les fueilles s’en aller,
Au bois naistre et mourir, et puis renouueler,
Ainsi le vieux langage et les vieuls mots périssent,
Et comme ieunes gens les nouueaux refleurissent.
Tout ce que nous ferons est suiet à la mort :
Ce qui fut terre ferme à cette heure est vn port,
Œuure haute et royalle : et maintenant la Seine
Pour enceindre la ville abandonne la pleine :
Et ce qui d’vn costé n’estoit rien que marests.
Et qui d’vn autre endroit n’estoit rien que forests
Est, fendu soubs le soc, deuenu champ fertille
Des blonds cheueux que tond la dent de la faucille.
Comme ore en mainte part Loire a changé son cours.
Et sans plus nuire aux bleds, des prez est le secours :
La mer en maint endroit de nos costes Normandes
A pris, sans partager, des campagnes trop grandes ;
Ailleurs se reculant de ses bords sablonneux,
Elle a fait des pastils de marests limonneux.
A la fin périront toutes choses mortelles ;
Aussi fera l’honneur des paroles plus belles :
Car si l’vsage veut, plusieurs mots reuiendront
Après vn long exil, et les autres perdront
Leur honneur et leur prix, sortant hors de l’vsage