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Paris le beau seiour des libres vertueux.
Mais de ne mettre point chose qui ne conuienne
Au suiet entrepris, tousiours il te souuienne :
Et ne fay pas ainsi que ce peintre ignorant,
Qui peindre ne sçauoit qu’vn Ciprez odorant ;
Et désirant de luy tirer quelque peinture,
Tousiours de ce Ciprez il bailloit la figure.
A quel propos cela ? quand pour argent donné
Veut estre peint celuy qui, sur mer fortuné,
Le nauffrage a souffert, te chargeant de pourtraire
Vn Satire cornu, ne fay rien au contraire.
Parquoy doncques au lieu d’vn Satire paillard,
Nous viens tu figurer Silène le vieillard ?
Si tu fais vn Sonnet ou si tu fais vne Ode,
Il faut qu’vn mesme fil au suiet s’accommode :
Et plein de iugement vn tel ordre tenir,
Que hautain commençant haut tu puisses finir.
Pour dire en bref il faut qu’à toy mesme semblable,
Ton vers soit tousiours mesme en soymesme agréable,
Si bien que ton Poème égal et pareil soit.
Soubs l’espèce du bien souuent on se déçoit :
Qui fait que la pluspart des Poètes s’abuse.
Car l’vn pour estre bref importunant la Muse,
Trop obscur il dénient : à l’autre le cœur faut,
Suiuant vn suiet bas : trop s’enflant s’il est haut :
Qui trop veut estre seur, et qui trop craint l’orage,
11 demeure rampant à terre sans courage.