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Cela fist que l’on vid maints doctes recognoistre
Les Orateurs se faire, et les Poètes naistre.
Et truchemens des dieux beaucoup les appeloient,
Croyans que par leur bouche aux humains ils parloient.
On void aussi que l’homme ayant dés la naissance
Le Nombre, l’Armonie et la Contrefaisance,
Trois points que le Poète obserue en tous ses vers,
Que de là sont venus tous les genres diuers
Qu’on a de Poésie : à raison que naissante
Premier cette Nature en nous contrefaisante,
Fist que celuy qui fut enclin pour imiter,
S’enhardit peu à peu de nous représenter
Tous les gestes d’autruy, chanter à l’auenture,
Rapportant à la voix l’accort et la mesure :
Depuis il s’ensuiuit qu’en beaucoip de façons
Elle fut diuisee en l’esprit des garçons.
Selon que de leurs meurs la coustume diuerse
A faire les poussoit des vers à la trauerse.
Delà vint qu’on voyoit les sages généreux
Les gestes imiter des hommes valeureux :
Les prudens contrefaire vne vieille prudence,
Et mettre d’vn Nestor l’esprit en euidence.
En imitant leurs meurs, leurs belles actions,
Comme elles ressembloient à leurs intentions :
Les autres plus légers les actions légères
Imitoient des mauuais : et comme harengeres
Touchoient l’honneur de tous, vsant de mots picquants.