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De les soumettre aux loix qu’eu prose les étendre.
Premier cette raison fist asseruir les voix,
Soubs l’air de la syllabe à conter par ses doigs.
L’inuention des vers estre des cieux venue, —
Est vne opinion des plus sçauans tenue,
Et le fils de Latone ils y font présider
Et les vierges qu’on fait en Pinde résider,
Pour monstrer que la source en est toute céleste ;
Ce qu’vn rauissement à plusieurs manifeste.
Car, estants idiots, de fureur sainte épris,
Ils sentent tellement eleuer leurs espris.
Et de Phœbus si fort échauffer leurs poitrines,
Que, comme s’ils auoient apris toutes doctrines,
Ils chantent mille vers qu’on pourroit égaller
A ceux qui font la Muse en Homère parler :
Puis quand cet éguillon plus ne les epoinçonne,
Ils remâchent leurs vers, leur Muse plus ne sonne :
Et demeurants muets ils sont émerueillez
Quel Ange auoit ainsi tous leurs sens reueillez.
Quel Bacchus leur auoit l’ame tant éleuee,
Et du Nectar des dieux tellement abreuuee,
Que sans corps ils estoient en tel rauissement
Tirez iusques au Ciel, où le saint souflenient
De la bouche de Dieu leur halenoit en l’ame
Vne fureur diuine, vn rayon, vne flame.
Qui sans art, sans sçauoir, les faisoit tant oser,
Qu’en tous arts ils vouloient et sçauoient composer ;