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Les grands, ainsi qu’on dit, font quelquefois tenter
Vn homme par le vin, pour l’expérimenter,
Le font boire d’autant, luy font faire grand’chere,
Pour sçauoir s’il pourroit bien celer vue affaire :
S’il est d’amitié digne ils veulent lors sçauoir ;
Par espreuue se peut vn mal aperceuoir.
Aussi faisant des vers tu te dois donner garde
D’vn esprit qui se masque, en sa façon mignarde,
De la peau d’vn Renard. Auiourd’huy rarement
On trouue des amis de libre iugement.
S’on recitoit des vers à Quinlil, dit Horace,
II disoit : « Mon enfant, il faut que ie t’efface
» Cet endroit, et cet autre, et corriger ceci.
» Tes vers n’ont point de sens, n’ont point de grâce ainsi. »
Si tu luy confessois ne pouuoir mieux escrire,
Ayant beaucoup de fois taché de les réduire,
Lors il te les faisoit tout du long effacer,
Et sçauoit de nouueau plus beaux les retracer ;
Te les’faisant remettre et tourner sur l’enclume,
Il les repolissoit des bons traits de sa plume.
Mais si mieux on aimoil défendre sa fureur
Que de les r’agencer, corrigeant son erreur,
Plus rien ne t’en disoit, estimant chose veine
De perdre après tes vers son conseil et sa peine ;
Et seul te permettoit de priser sans riual,
Comme aueugle en ton fait, toy, ta faute et ton mal.
L’homme bon et prudent, d’ame non violante,