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toute énergie, peut momentanément arrêter leur marche ; mais toute secousse, tout changement, est pour elles l’occasion ou la cause d’un nouveau pas vers la liberté[1].

Alexandre, à trois jours de là, signait le traité de paix[2]. Ce traité ne pouvait être qu’une sorte d’ampliation de la funeste convention du 23 avril. Ces mots écrits par M. de Talleyrand, la France reprend ses frontières du 1er janvier 1792, avaient décidé le sort de la France. Il ne restait plus, pour ainsi dire, que de simples questions d’exécution ou de détail à débattre. Territoire, forteresses, garnisons, ports, vaisseaux, arsenaux, magasins, matériel, tout ce qui pouvait devenir l’objet d’un débat ou d’une transaction, tout ce qui pouvait appuyer nos réclamations, offrir un moyen de compensations ; en un mot, tout ce qui faisait notre force comme puissance contractante, avait été donné à l’avance par le prince de Bénévent ; il avait

  1. On lit dans une lettre écrite par l’abbé de Pradt, en 1836, et que nous avons déjà citée :
    « On a beaucoup menti à cette époque (avril et mai 1814), et moi-même j’ai menti comme tout le monde : je savais à quoi m’en tenir sur le roi législateur. J’étais alors près de M. de Talleyrand ; c’est moi qui ai rédige le discours qu’il prononça au Sénat (le 1er avril) ; et, si je n’ai pas fait partie du gouvernement provisoire, c’est qu’il s’y trouvait déjà trois abbés, et qu’un de plus, c’eût été trop. M. de Talleyrand a conduit cette affaire comme il les conduit toutes : il n’arrive à de grands résultats que par de petits moyens, de petites intrigues et du petit esprit. » Les trois abbés dont parle M. de Pradt étaient M. de Talleyrand et l’abbé de Montesquiou, membres du gouvernement proprement dit, et l’ex-abbé Louis, ministre des finances.
  2. On lit dans les Mémoires de M. de la Fayette, à l’occasion du rôle d’Alexandre, lors de l’avénement de la première Restauration :
    « Je passai chez madame de Staël (mai 1814) une soirée dont je dois consigner ici quelques détails.
    La manière noble et simple d’Alexandre, en entrant dans cette société choisie, me plut beaucoup... Dans la conversation générale, comme dans les particulières, il fut poli, aimable, et surtout libéral... Il se plaignit de la servilité de nos journaux. « Nous ferions mieux en Russie, » dit-il. Je l’assurai qu’il jugeait mal la nation... Il me fit signe de le suivre dans une autre pièce ; et, comme il y rencontra du monde, nommément M. de Talleyrand, il m’emmena dans une embrasure, baissant la voix et prêtant l’oreille pour m’entendre, parce qu’il est un peu sourd. Il se plaignit d’abord de ce que ses bonnes intentions pour notre liberté et pour sa gloire avaient si mal tourné ; de ce qu’il n’avait trouvé en France ni patriotisme ni appui ; de ce que les Bourbons