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— 1814 —

L’inamovibilité, pour ces magistrats, ne fut pas maintenue.

Enfin la Charte était enfantée ! L’avant-veille, assure-t-on, Alexandre avait adressé le billet suivant à M. de Talleyrand : Mon départ est irrévocablement fixé pour la fin du mois ; il faut que la constitution soit définitivement arrêtée et acceptée par le roi auparavant. Ce billet, communiqué à MM. de Blacas et de Montesquiou, qui en rapportèrent le contenu à Louis XVIII, avait été le motif de la précipitation des commissaires dans leurs conférences des deux derniers jours. Quoi qu’il en soit, c’est au résultat de ces conférences, travail incomplet, ordonné par l’empereur de Russie, discuté en cinq séances de quelques heures chacune, entre deux émigrés, un ancien avocat général au Parlement de Paris, neuf sénateurs et neuf membres du Corps législatif impérial, que Louis XVIII doit les louanges, les adulations des orateurs et des écrivains de tout son règne. Ce prince a été proclamé l’immortel auteur de la Charte. Des statues, des tableaux, ont consacré ce titre, et il vivait encore, quand un peintre célèbre l’a représenté, aux applaudissements de tous ses contemporains, assis devant la table de chêne de son solitaire cabinet d’Hartwell, écrivant l’œuvre dont nous venons de dire l’enfantement précipité. Le mérite de l’adoption lui appartient sans doute : il y a plus, il consentit à souscrire cet acte constitutionnel lorsque, depuis douze ans, la France se tenait courbée sous le plus lourd despotisme politique qui puisse peser sur une nation. Mais la transaction aurait-elle été aussi large, ce prince se serait-il montré aussi facile, si, maître absolu de la situation, il avait agi dans la plénitude de ses convictions et de sa volonté ? Étrange bizarrerie ! cette Charte, qui rendit à la France affaissée sous le despotisme impérial une partie des droits et des libertés conquises par la Révolution, sortit, en définitive, de l’invasion étrangère, de la trahison du corps le plus corrompu et le plus servile de l’Empire, et du caprice du souverain le plus absolu de l’Europe ! Dans nos temps modernes, l’existence des nations peut avoir ses accidents ; la conquête ou le despotisme, comprimant en elles