Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
— 1814 —

d’ailleurs, le Corps législatif, à qui l’élection garantit une complète indépendance ? — Eh bien, on vous en donnera cent cinquante, dit un des sénateurs. — Cent cinquante mille, s’il convient au roi ! s’écria M. de Montesquiou[1]. »

Cette discussion, où la vérité et le bon sens, au point de vue monarchique, se trouvaient du côté de l’abbé de Montesquiou, devenait irritante ; elle pouvait amener un déchirement fatal aux intérêts encore mal assurés de l’ancienne famille royale ; M. de Talleyrand prévint le danger en renvoyant la réunion au lendemain. Le 4, au soir, la commission s’assembla de nouveau. Les sénateurs se montrèrent aussi tenaces ; le royalisme de M. de Montesquiou se maintint aussi opiniâtre. « Qui êtes-vous ? qui sommes-nous ? s’écriait l’abbé avec véhémence. Qui vous a donné le droit de faire une constitution ? Qui me donne le droit de parler au nom du roi ? Où sont vos pouvoirs ? Où sont les miens ? Une constitution sans le roi et sans la nation, voilà, je crois, la chose la plus étrange qui se soit jamais faite ! » Le débat s’animait de nouveau, quand M. de Nesselrode, qui s’était fait attendre, parut, et annonça la prochaine arrivée des plénipotentiaires chargés de traiter au nom de la Régence. Cette nouvelle jeta l’épouvante au sein du comité et coupa court à tout travail ; ses membres se rendirent en toute hâte à l’hôtel Saint-Florentin. Nous avons raconté, dans le précédent volume, les événements qui remplirent la nuit. Le lendemain, lorsque la défection du 6e corps eut détruit les dernières chances de la cause impériale, le comité de constitution se réunit une troisième fois. M. de Talleyrand sut mettre à profit les terreurs du matin et de la veille : il fit comprendre à M. de Montesquiou la nécessité de tout sacrifier au rappel officiel des Bourbons. Dans la position des choses, disait-il, ce point était le seul essentiel ; toutes les autres questions devenaient secondaires. Or le Sénat, il ne fallait pas l’oublier, avait seul déclaré la vacance du trône,

  1. Rapport adressé par M. de Montesquiou à Louis XVIII, et trouvé dans le cabinet de ce prince après sa fuite au 20 mars 1815.