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— 1814 —

Louis XVIII occupait le fond, ayant à sa gauche la duchesse d’Angoulême, et devant lui le prince de Condé et le duc de Bourbon. Le roi portait l’habit de ville surmonté de deux grosses épaulettes dont nous avons déjà parlé. La duchesse d’Angoulême, coiffée de l’étroit chapeau blanc qu’elle portait à Compiègne et qui formait un singulier contraste avec les larges coiffures alors à la mode, tenait une ombrelle déployée contre les rayons du soleil. La physionomie de la fille de Louis XVI, du duc de Bourbon et du prince de Condé, exprimait l’étonnement et une sorte de contrainte ; celle du roi était sérieuse, son regard était froid, ses lèvres seules essayaient de sourire et de répondre aux nombreuses et persistantes acclamations qui partaient surtout avec force des balcons et des fenêtres des premiers étages occupés par le public élégant. Le public des classes laborieuses, se bornant à regarder passer devant lui ces personnages, ces costumes d’un autre âge et d’un autre siècle, se préoccupait moins des espérances contenues dans la déclaration de Saint-Ouen que des circonstances au milieu desquelles ce spectacle se produisait. Cependant les curieux de cette catégorie se répandaient, à leur tour, en acclamations bruyantes ; mais ce n’était pas à la Royauté reconstruite que s’adressait leur ovation ; c’était à l’Empire abattu, c’était à quelques bataillons de l’ex-garde impériale mêlés à l’escorte. Salués par des cris prolongés de Vive la garde ! ces vieux soldats, qui représentaient dans ce cortége la France humiliée et vaincue, semblaient ne rien entendre des sympathiques acclamations soulevées par leur présence, et, protestation vivante contre les joies de cette journée, ils défilaient mornes et silencieux[1].

  1. On lit dans les Mémoires du duc de Rovigo : « J’étais dans la foule, occupé à voir passer le cortége... Le tableau était pénible. Il y avait quelque chose d’indécent à voir figurer à la suite de Louis XVIII des hommes qui occupaient les premières places dans les marches triomphales de l’Empereur. Le peuple, qui a plus qu’on ne l’imagine le sentiment des convenances, ne ménagea pas Berthier ; j’entendis, à diverses reprises, la foule lui crier À l’île d’Elbe, Berthier ! à l’île d’Elbe ! »