Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
— 1814 —

Les sénateurs, en se résignant, dans ce projet de déclaration, à laisser au roi l’initiative de la constitution, pensaient avoir atteint la limite des sacrifices possibles. Louis XVIII et ses conseillers intimes, après en avoir entendu la lecture, croyaient, de leur côté, n’avoir rien obtenu. Chaque phrase, chaque mot, pour ainsi dire, du préambule et du paragraphe final, étaient à leurs yeux une atteinte ou une injure aux droits de la couronne. Ces deux parties du projet, lues à différentes reprises, provoquaient chaque fois des suppressions nouvelles. Vainement M. de Talleyrand essayait de défendre sinon la forme, du moins le fond des pensées essentielles de son œuvre ; il n’en resta bientôt plus un seul membre de phrase. Il avait insisté, entre autres observations, sur la nécessité de l’acceptation de l’Acte constitutionnel par la personne royale, employant toutes les ressources de son esprit à faire comprendre, sans irriter la susceptibilité de ses auditeurs, que publier une constitution ne suffisait pas, qu’il fallait au moins s’engager à l’observer. Louis XVIII était sincère ; s’il disputait sur chaque expression, c’est qu’il s’agissait, dans sa pensée, d’engagements sérieux. Mais le serment d’acceptation n’était pas un point sur lequel il pût faiblir. Cette concession portait à sa religion pour les droits de sa race et de son rang une trop profonde atteinte : « Monsieur de Talleyrand, dit le roi en jetant au prince de Bénévent un regard de hauteur, si je jurais la constitution, vous seriez assis et je serais debout ! »

Cependant les heures s’écoulaient ; la nuit arrivait ; M. de Talleyrand, inquiet, fit avertir Alexandre. Le Tzar, voyant une injure, pour ainsi dire, personnelle dans cette résistance à l’adoption d’un acte sur la rédaction duquel on l’avait consulté, et dont il avait approuvé tous les termes, transmit, assure-t-on, au prince de Bénévent un mot ainsi conçu : « Si la déclaration n’est pas publiée, ce soir, telle qu’elle a été convenue, on n’entrera pas demain dans Paris. » La lettre, assure-t-on, fut confidentiellement communiquée à MM. de Blacas et de Montesquiou ; à quelques instants de là, une transaction était