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— 1814 —

Florentin, la foule s’assembla aussitôt, et cria : Vive l’empereur de Russie ! vive Alexandre ! Mais, M. de Talleyrand ayant paru sur le balcon, on entendit quelques cris de : À bas le Sénat ! à bas l’évêque d’Autun ! à bas le renégat ! M. de Talleyrand rentra aussitôt et fort troublé, assurant à l’empereur de Russie que c’était une machination du faubourg Saint-Germain, qui préludait au renversement de ce qu’ils avaient fait. Alexandre lui répondit qu’il saurait bien faire respecter l’œuvre de l’Europe. Mais, les démonstrations contre le Sénat se renouvelant, M. de Talleyrand revint à la charge, se plaignant de s’être mis en avant, de s’être compromis ; car, d’après ce qui se passait, disait-il, il voyait bien que, dès que Louis XVIII serait débarqué à Calais, il n’y aurait plus moyen d’en rien obtenir. L’empereur Alexandre essaya de le calmer par des protestations, et, poussé à bout, finit par lui dire : Je mets 30,000 hommes à votre disposition pour le faire arrêter à son débarquement, et on ne le lâchera que lorsque tout sera fini et qu’il aura consenti à faire tout ce qui convient. — Ce fait, ajoute le narrateur, est à la connaissance de bien des personnes qui vivent encore et qui pourraient l’attester comme moi[1]. »

Le Tzar ne trompa pas l’attente des sénateurs ; il leur promit d’avoir raison de l’obstination des revenants, et partit le lendemain, 1er mai, à dix heures du matin, pour Compiègne, où il arriva accompagné d’un seul aide de camp, le général Czernicheff. « L’Empereur, accueilli au bas de l’escalier, dit le Moniteur, par le prince de Condé, fut conduit par S. A. S. jusque dans les appartements du roi, où les deux monarques se sont embrassés avec effusion. Ils ont eu ensemble un long entretien, qui annonçait entre les deux souverains le plus tendre abandon et la confiance la plus intime. » L’entretien, il est vrai, dura longtemps ; il fut intime, en ce sens que les deux princes abordèrent nettement la question si

  1. Lettre écrite, en 1836, par l’abbé de Pradt, archevêque de Malines.