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— 1814 —

trompés si souvent, ils lui avaient tracé, dans d’autres occasions, des tableaux si peu fidèles de la situation de la France, et ils étaient restés si complétement effacés comme opinion et comme parti durant tout l’Empire, qu’il se tenait en défiance contre leurs conseils et leurs affirmations.

Dans cette incertitude, il s’était décidé à attendre, et avait fait annoncer qu’il séjournerait à Compiègne.

La soirée du 29 et la journée du 30 furent consacrées à la réception officielle de tous les corps politiques, administratifs ou judiciaires, qui, sur l’avis de son séjour, s’étaient hâtés d’accourir de Paris. Les maréchaux se présentèrent les premiers ; Berthier porta la parole en leur nom : il invoqua l’histoire ; parla de l’antiquité des Bourbons, des huit siècles de règne qui les rendaient la plus vieille et la plus glorieuse dynastie du monde ; fit intervenir, dans une de ses phrases, Henri IV nourrissant Paris assiégé, et termina par ces mots, réminiscence évidente de ses harangues à Napoléon : « Vos armées, Sire, dont les maréchaux sont aujourd’hui l’organe, se trouvent heureuses d’être appelées par leur dévouement et leur fidélité à seconder vos généreux efforts. » Louis XVIII sut dissimuler, sous l’affabilité de ses manières, l’embarras où le plaçait cette entrevue : il se fit successivement présenter les anciens lieutenants de Napoléon ; et, à mesure que chacun d’eux le saluait, il adressait quelques mots flatteurs au maréchal qu’on venait de lui nommer. La présentation terminée, il essaya de se lever ; mais, les douleurs de la goutte lui rendant un appui nécessaire, plusieurs officiers de sa maison s’avancèrent pour lui offrir leur main fermée ; au lieu d’accepter ce secours, il saisit vivement le bras des deux maréchaux les plus près de lui, et leur dit : « C’est sur vous, messieurs les maréchaux, que je veux toujours m’appuyer ; approchez et entourez-moi : vous avez toujours été bons Français ; j’espère que la France n’aura plus besoin de votre épée ; si jamais, ce que Dieu ne veuille, on nous forçait à la tirer, tout goutteux que je suis, je marcherais avec vous. »