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— 1814 —

moitié de l’Europe ne pouvaient plus alimenter désormais le trésor de la cour des Tuileries. On estime à plus de 300,000 fr. le chiffre annuel des pensions que perdait M. de Talleyrand par le fait seul du changement de gouvernement. De quelle hauteur ne devait-il donc pas tomber, si la disgrâce du nouveau souverain venait complétement tarir les sources qui, jusqu’alors, avaient alimenté sa grande existence et son luxe ? Or, cette disgrâce, il pouvait la craindre. Les émigrés rentrés avec le comte d’Artois, moins tolérants et moins retenus que ce dernier, ne cachaient ni la méfiance, ni le dédain que leur inspirait l’abbé de Périgord devenu le ministre de la République et de l’Empire. Quelques journaux, bien que soumis à la censure, annonçaient avec affectation de prétendues visites faites par madame de Talleyrand, épouse de M. le prince de Bénévent, ancien évêque d’Autun, à l’hôtel de son mari ; plusieurs fois, des groupes stationnés sous ses fenêtres et sous celles d’Alexandre, et agissant, disait-on, sous une impulsion royaliste, avaient fait entendre les cris de : À bas l’évêque d’Autun ! à bas le renégat ! Enfin, ses rapports avec le nouveau roi n’étaient pas de nature à le tranquilliser ; le frère de Louis XVI ne répondait pas à ses dépêches, ou bien ne lui adressait que quelques lignes où dominaient la réserve et la froideur. Effrayé sur son avenir, instruit de la prochaine arrivée de Louis XVIII, M. de Talleyrand, avant que ce monarque pût prendre la direction des affaires, voulut s’assurer une indépendance qui le mît au-dessus de toutes les disgrâces[1]. Il

  1. « Les sénateurs croyaient qu’avec leur constitution ils allaient être à l’abri des conséquences qu’ils redoutaient. M. de Talleyrand ne donnait pas dans cette illusion. Il avait acheté, du produit d’un hôtel qu’il avait vendu à l’Empereur, une maison de plaisance nommée Saint-Brice, à peu de distance de Saint-Denis. Il vit l’impossibilité où il serait de conserver cette maison, qui était d’un entretien dispendieux. Il chercha à s’en défaire. Personne ne se présenta pour acquérir ; mais il sut y suppléer. Il fit venir le fermier général des jeux et lui proposa de l’acheter. Celui-ci déclina la proposition ; mais on lui signifia qu’on ne l’avait pas fait appeler pour essuyer un refus, qu’il fallait acquérir, et que si le contrat n’était pas signé dans les vingt-quatre heures, son bail serait cassé et donné à un autre. Le fermier était sans appui ; il avait