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— 1814 —

tonnière ou impressionnable du public que l’on voit toujours se mêler au bruit qu’elle entend et répéter machinalement les cris qui retentissent autour d’elle. Le prince saluait avec grâce et dignité ; cavalier accompli, de tournure élégante et noble, il avait seul le privilége de soulever, par sa présence, de passagères émotions. Quelques gens âgés, en l’apercevant, se montraient attendris, et plusieurs, qui ne l’avaient pas vu depuis vingt-cinq ans, s’attristaient, dans leur étonnement naïf, de ce qu’il avait un peu vieilli. Cette sympathie d’une partie de la foule s’effaçait dès que le comte était passé, et faisait place, chez le plus grand nombre, à un sentiment pénible : les Cosaques du cortége rappelaient trop hautement et trop vite la présence et les désastres de l’invasion. La censure, pour atténuer les effets de cette impression fâcheuse, osa faire imprimer dans tous les journaux du lendemain qu’aucun corps de troupes étrangères n’avait fait partie du cortége.

Arrivé à trois heures aux portes de Notre-Dame, où le clergé le reçut sous un dais, le comte d’Artois entendit un Te Deum que termina le Salvum fac regem, et se dirigea par le pont Neuf et les quais vers les Tuileries, où il entra enfin à six heures. Un immense drapeau blanc fut immédiatement arboré sur le pavillon de l’Horloge. Le soir, plusieurs maisons furent illuminées. Cette journée transportait politiquement la puissance aux Tuileries et à leurs nouveaux hôtes. L’empereur de Russie, qui avait habité jusqu’alors l’hôtel Saint-Florentin, siège réel du gouvernement, le quitta ce jour-là même, et revint demeurer au palais de l’Élysée-Bourbon.

Rien, pourtant, n’était encore changé ; M. de Talleyrand et ses collègues restaient le gouvernement officiel, mais ne prenaient aucune mesure ; le comte d’Artois, installé au rez-de-chaussée des Tuileries, dans les anciens appartements de l’impératrice, se bornait à recevoir les félicitations de sa petite cour et à écouter, sans vouloir les accueillir, les propositions de transaction du gouvernement provisoire. Enfin, le Sénat, qui avait refusé d’aller au-devant du prince et d’as-