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— 1815 —

naissez-vous pas ? Est-ce au régiment d’Angoulême que je parle ? Avez-vous oublié celui que vous nommiez votre prince ?... Et moi, ne m’appeliez-vous pas votre princesse ? » Elle attendit vainement une réponse. Des larmes coulèrent alors de ses yeux. Quelques officiers parurent émus ; elle se tourna vers eux : « Eh bien, leur dit elle, ne me reconnaissez-vous pas ? » La même immobilité et le même silence continuèrent à régner dans les rangs. Elle ne put retenir ses sanglots. « Oh ! Dieu ! s’écria-t-elle, il est bien cruel, après vingt ans d’exil et de malheurs, de s’expatrier encore ! Je n’ai pourtant jamais cessé de faire des vœux pour la France ; car je suis Française, moi ! et vous, vous n’êtes plus Français. Allez, retirez-vous ! » Étrange puissance de l’éducation des cours ! La duchesse, au milieu des murs du Château-Trompette, parlait comme elle aurait pu le faire dans les salons de Versailles ou des Tuileries, en s’adressant aux membres de quelque députation malapprise ; elle ordonnait de se retirer à tout un bataillon enfermé avec elle dans la cour d’une infranchissable forteresse. Les soldats et les officiers respectèrent sa douleur ; on entendit à peine un murmure. Enfin, elle donna le signal du départ. Au moment où elle sortit, les tambours firent un long roulement qui durait encore lorsqu’elle passa sous les canons du château. Sa conviction était formée : elle devait quitter Bordeaux.

La garde nationale avait reçu, en même temps que la troupe de ligne, l’ordre de se rassembler. La duchesse trouva cette milice rangée le long des quais qui bordent la Garonne. Sa présence fit éclater les transports accoutumés ; ils redoublèrent à la vue de l’émotion douloureuse dont ses traits portaient encore l’empreinte. Vainement faisait-elle signe qu’elle voulait parler, les cris ne discontinuaient pas ; elle prit le parti de monter sur les coussins de sa calèche. En l’apercevant ainsi debout et dominant tous les rangs, les plus animés firent silence ; la duchesse put se faire entendre.

« Je viens, s’écria-t-elle d’une voix forte, vous demander un