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— 1815 —

« l’avantage de faire entendre enfin au pays la voix des vieux amis de la liberté. » La marche rapide de l’Empereur ne laissa pas aux royalistes constitutionnels le temps de faire accepter leur programme par Louis XVIII ; l’entrée de Napoléon aux Tuileries fit tomber cette impuissante négociation.

Les royalistes constitutionnels, au reste, n’épargnaient rien pour venir en aide au gouvernement royal, et se faire accepter par ses princes : la veille du 20 mars, Benjamin Constant publiait et signait, dans le journal de la cour, un article où il disait : « Du côté du roi sont la liberté constitutionnelle, la sûreté et la paix ; du côté de Buonaparte, la servitude, l’anarchie et la guerre ; nous subirons sous lui un gouvernement de mameluks ; son glaive seul nous gouvernerait... Ses proclamations sont celles d’un chef armé qui fait briller son sabre pour exciter l’avidité de ses satellites et les lancer sur les citoyens comme sur une proie. C’est Attila, c’est Gengis-Khan, plus terrible, plus odieux, parce que les ressources de la civilisation sont à son usage ; on voit qu’il les prépare pour régulariser le massacre et pour administrer le pillage... Il reparaît sur l’extrémité de notre territoire, il reparaît, cet homme teint de notre sang et poursuivi naguère par nos malédictions unanimes[1]... » Si le parti constitutionnel, emporté par sa juste aversion pour l’ancienne dictature impériale, et sacrifiant à ce souvenir les intérêts les plus chers du pays, devait se montrer, après Waterloo, sans lumières, sans esprit patriotique et sans courage ;

  1. Un journal royaliste, la Quotidienne, ayant dit en termes généraux que les patriotes avaient conspiré pour rappeler Napoléon, les rédacteurs du Censeur européen, journal d’opposition constitutionnelle, qui faisait à la cour et au ministère une guerre fort rude, se regardèrent comme personnellement insultés, et assignèrent la Quotidienne en calomnie. L’injure, disaient-ils, était atroce ; le roi n’avait pas de sujets plus dévoués, et Bonaparte d’ennemis plus décidés que les patriotes. La cause fut appelée le 19 mars, le jour même où Benjamin Constant publiait, dans le Journal des Débats, l’article dont nous venons de reproduire quelques passages ; le tribunal, incertain des événements, n’osa prononcer, et, malgré les efforts des rédacteurs du Censeur, il remit l’affaire à quinzaine. Le retour de Napoléon fit tomber ce singulier procès.