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— 1815 —

Madame de Staël raconte « que le simple bon sens des paysans suisses les portait à lui prédire pendant la première Restauration que Napoléon reviendrait[1]. » Ces paysans suisses ne conspiraient certes pas. Aux premiers jours de la rentrée de Napoléon aux Tuileries, alors que sa cause semblait à jamais gagnée, et qu’entouré de tous ceux que l’on pouvait supposer avoir secondé son retour, ce souverain n’aurait fait qu’un acte de vulgaire justice en reconnaissant les services rendus, il disait à Benjamin Constant : « Je suis venu sans intelligences, sans concert, sans préparation aucune, tenant en main les journaux de Paris et le discours de M. Ferrand. Lorsque j’ai vu ce que l’on écrivait sur l’armée et sur les biens nationaux, sur la ligne droite et sur la ligne courbe, je me suis dit : La France est à moi ![2] »

Le retour de l’île d’Elbe devait fournir aux royalistes le prétexte d’accusations sans mesure contre le parti bonapartiste ; et sous cette dénomination ils comprenaient la plupart des hommes, militaires ou fonctionnaires civils, qui avaient obtenu des grades ou occupé de hautes fonctions sous l’Empire. C’était se tromper doublement : ce fut, non pas un parti bonapartiste, mais le peuple et les soldats, qui saluèrent, dans la journée du 20 mars, l’espérance de voir renaître notre gloire et notre grandeur disparues ; en second lieu, la population officielle du règne impérial s’était donnée sans réserve aux Bourbons. Les instruments les plus impitoyables du despotisme de l’Empire étaient devenus les partisans les plus fougueux du système rétrograde de la Restauration, et abritaient leur violence passée derrière leur exagération nouvelle. La pensée de se retrouver les prôneurs et les agents du régime qu’ils venaient de décrier les effrayait : « Il ne faut pas que cet homme revienne, disait l’un d’eux à Benjamin Constant en parlant de l’Empereur, dont le débarquement était annoncé ; je

  1. Considérations sur la Révolution française, t. III.
  2. Benjamin Constant, Mémoires sur les Cent-Jours.