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— 1815 —

était parti de Fontainebleau, après avoir reçu le courrier du comte Lavalette ; mais il n’avait pu avancer que lentement à travers les masses profondes de villageois qui, accourus de plusieurs lieues à la ronde au seul bruit de son prochain passage, couvraient la route et le saluaient de leurs acclamations. Il était nuit quand il put enfin entrer par la barrière d’Italie ; il suivit les boulevards neufs jusqu’aux Invalides, traversa ensuite le pont de la Concorde et longea le quai des Tuileries. Sa voiture, précédée par un groupe nombreux de généraux qui s’étaient portés à sa rencontre dans la journée, n’avait pour escorte qu’une centaine de cavaliers de tous les corps ; elle ne put franchir qu’à grand’peine le guichet de la cour, tant étaient compactes les groupes qui se précipitaient au-devant des chevaux. L’Empereur, saisi, enlevé par cent bras qui se disputaient l’honneur de l’aider à descendre, fut littéralement porté jusque dans l’intérieur du palais ; ses pieds ne touchèrent point la terre. Louis XVIII avait quitté les Tuileries à la lueur des flambeaux ; ce fut également à la lueur des flambeaux que Napoléon y rentra. Son visage était souriant ; on pouvait cependant y découvrir la trace d’une secrète inquiétude. « L’accueil fait par les Parisiens à l’Empereur, a dit une des personnes qui l’accompagnaient en parlant de ce qu’il avait pu remarquer depuis la barrière jusqu’aux Tuileries, ne répondit point à notre attente. Des cris multipliés de Vive l’Empereur ! le saluèrent à son passage ; mais ils n’offraient pas le caractère d’unanimité et de frénésie qui l’avait accompagné du golfe Juan aux portes de Paris. » Les hommes et le terrain changeaient. Le flot révolutionnaire qui avait porté, soutenu Napoléon depuis la grève d’Antibes, dut s’arrêter devant les murs de la capitale de l’Empire. La tâche du peuple et des soldats était accomplie ; celle des classes officielles, du pays légal, allait commencer.