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— 1815 —

plus haut rang, qui se livraient à un espionnage volontaire, par amour pour la royauté, accusaient la fidélité des membres du gouvernement. « Je suis bien sûre que M. Dandré (le directeur général de la police) trahit le roi, s’écriait une marquise ; tous les jours je lui raconte ce que je vois et ce que j’entends, et pas une des personnes que je lui signale n’est arrêtée[1]. »

Le matin du 19, Louis XVIII, que M. de Blacas laissait dans l’ignorance des mauvaises nouvelles, ne songeait nullement à quitter Paris. Loin de là, ce prince, quelques instants avant le moment où M. de Blacas parut devant lui, avait officiellement invité tous les membres du corps diplomatique à une réunion pour le surlendemain 21, et le Moniteur du matin plaçait le bruit de son départ au rang des fables absurdes et des mensonges coupables répandus par les adhérents de Bonaparte. Mais, lorsque le favori lui eut rendu compte des nouvelles qu’il venait de recevoir ; quand elles lui furent confirmées par le ministre de la guerre Clarke, qui, après avoir annoncé, la veille, que tout était sauvé, confessa que tout était perdu, Louis XVIII, sur l’avis de ces deux conseillers, prit la résolution de se retirer à Lille. Le duc d’Orléans, que l’on redoutait de laisser à Paris, avait été envoyé dans cette place forte aussitôt son retour de Lyon[2] : en outre, les habitants de Lille affectaient le plus ardent royalisme, et cette ville, par sa proximité des ports de la Manche et de la frontière belge, était une porte tout ouverte à une seconde émigration. La garni-

  1. Mémoires du général la Fayette.
  2. Le duc d’Orléans était arrivé à Lille le 18. Le 17, à son passage à Cambrai, il avait passé la revue des chasseurs royaux, alors revenus de Compiègne, où les avait entraînés leur chef, le général Lefebvre-Desnouettes, ainsi que nous l’avons raconté plus haut. Nous avons dit, à l’occasion de la conjuration dont la marche de ce régiment était le résultat, que le complot n’aurait probablement pas profité au duc d’Orléans, et que ce prince eût été emporté dans le mouvement avec les autres membres de sa famille ; la revue du 17 en donna la preuve : quand elle fut terminée, les chasseurs, rentrés dans leur caserne, chargèrent leurs armes ; ils voulaient, disaient-ils, se porter à l’évéché, où le duc était descendu, et commencer par lui. Le commandant Brice, revenu avec le régiment, eut besoin de toute son influence sur les soldats pour les décider à laisser le prince sortir vivant de Cambrai.