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— 1815 —

chassés de Montereau, et qu’un régiment de cuirassiers détaché à Melun avait, à son tour, poursuivis jusque dans la forêt de Sénart, rentraient aux Tuileries, annonçant que l’Empereur avait dépassé Sens dès la veille. Des officiers, envoyés du camp formé à Villejuif sous les ordres du duc de Berri, apprirent en même temps à M. de Blacas que les soldats changeaient ostensiblement leur cocarde et se disposaient à se mettre en marche, non pour combattre, mais pour rejoindre Napoléon. Ces nouvelles furent pour le favori un véritable coup de massue : frappé d’épouvante, il s’empressa de les porter au roi et de lui conseiller de quitter Paris[1].

On a dit que cette résolution avait été prise en conseil ; on a même raconté les détails de la délibération. Il n’y eut ni délibération ni conseil dans le sens politique ordinaire de ces

  1. Le détail suivant donnera la mesure de la prodigieuse sécurité où était encore M. de Blacas quelques heures auparavant. On lit dans les Mémoires de Fauche-Borel : « M. de Blacas ne voyait que des alarmistes ou des intrigants dans les serviteurs des Bourbons qui lui faisaient parvenir à lui-même ou qui adressaient directement au roi des avertissements ou des avis utiles ou pressants... On venait de fermer les grilles du Palais-Royal, que je venais de traverser vers les onze heures du soir, quand je fus rencontré par le comte de Saint-Didier. « Il faut absolument, me dit-il, que vous me facilitiez les moyens d’arriver à l’instant même jusqu’au roi, car j’ai des choses de la plus haute importance à communiquer à S. M. » Je lui répondis que je n’avais d’autre moyen d’arriver jusqu’au roi, surtout à une heure aussi avancée, qu’en m’adressant à M. Hue, son premier valet de chambre... Nous allons au château ; les grilles en étaient fermées, et les gardes bivaquaient dans la cour. Je me nommai ; les portes furent ouvertes et nous allâmes chez M. Hue, qui allait se mettre au lit. Il écouta avec attention nos communications. « Je ne peux pas entrer chez le roi sans interrompre son sommeil, nous dit-il ; allez chez M. de Blacas... » Nous fûmes introduits chez le comte... Nous l’informâmes que Bonaparte allait arriver dans la capitale. « Qu’en savez-vous ? » nous dit M. de Blacas. M. de Saint-Didier lui répondit que les lanciers, qui s’étaient portés en avant par l’ordre du roi, montraient partout sur la route leur cocarde tricolore cachée sous une cocarde blanche, et qu’à lui-même, étant à la campagne, où il avait donné à déjeuner à plusieurs d’entre eux, ils lui avaient confirmé l’arrivée de Bonaparte. M. de Blacas nous traita de visionnaires, et, s’adressant particulièrement à moi, il me dit d’un ton railleur : « Vous croyez donc, mon bon Fauche, que Buonaparte sera assez fou pour venir à Paris s’y faire écharper ? » Je me retirai plein de douleur. » (Tome IV, page 295.)