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— 1815 —

intérêts de sa dignité personnelle, ses devoirs envers son pays et les droits de ses anciens compagnons d’armes[1].

Jusqu’au 10, le gouvernement de Louis XVIII n’avait opposé à la marche de l’Empereur que des menaces de mort, l’envoi de deux princes, des dépêches télégraphiques et des proclamations. À compter de ce moment, les mesures se succédèrent chaque jour plus graves et plus extrêmes. La profonde sécurité des premiers jours s’était changée en panique. Le 12, le gouvernement publia deux ordonnances qui rappelaient à leurs régiments tous les militaires en semestre ou en congé ; prescrivaient la formation, dans chaque département, de bataillons de réserve composés de tous les soldats rentrés dans leurs foyers avant le 1er avril 1814 ; et décrétaient l’organisation et l’armement de toutes les gardes nationales du royaume, ainsi que la formation, sur tous les points du territoire, de corps

  1. On lit dans le Mémoire que publia ce maréchal, après les Cent-Jours, pour se justifier de cette ridicule accusation de trahison :
    « Je suis accusé d’avoir provoqué par diverses mesures injustes, intempestives, le mécontentement des officiers de l’armée. Et, d’abord, en favorisant à leur préjudice les officiers chouans, vendéens et les émigrés, la cour sait bien que les places et les faveurs accordées aux uns et aux autres l’ont été par son ordre... Nul ne sait mieux que moi qu’une grande partie des officiers français n’ont pas reçu les pensions et les places qu’ils avaient si bien méritées...
    J’ai travaillé constamment avec M. le comte de Bruges ; je profitais de ses lumières ; il n’était étranger ni à mes travaux ni à mes pensées ; cette association et la réputation du comte de Bruges n’eussent-elles pas dû suffire pour écarter loin de moi le reproche de trahison ? » (Pages 9 et 10.)
    La cour, on sait qui la composait. Le comte de Bruges, cet associé dont les lumières guidaient le maréchal, était un des émigrés rentrés avec le comte d’Artois après vingt-cinq ans de luttes ou d’intrigues contre la France. De tels aveux sont de nature à dissiper tous les doutes sur la fidélité du duc de Dalmatie comme ministre de la guerre de la première Restauration ; on ne suspectera pas leur sincérité : jamais homme politique, parlant de lui-même, n’a produit contre lui une plus accablante accusation.
    Ou raconte, au reste, que, lorsqu’il sortit de l’audience où le roi lui avait demandé son portefeuille, le maréchal, se tournant vers la foule de courtisans qui encombrait les salles qu’il avait à traverser, leur dit : « Messieurs, je cesse d’être ministre de la guerre, mais je n’en suis pas moins au roi, à la vie, à la mort ! » Et, agitant son chapeau au-dessus de sa tête, il jeta, au milieu des spectateurs étonnés, des cris nombreux et retentissants de Vive le roi !