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— 1815 —

luait comme le vengeur de l’honneur national, comme le protecteur des intérêts et des droits conquis par la Révolution. On se plaignait à lui de l’insolence de quelques-uns des fonctionnaires du nouveau gouvernement. Les habitants d’un petit village de l’arrondissement de Semur, entre autres, vinrent sur la route lui dénoncer les persécutions d’un jeune royaliste, leur sous-préfet[1], qui ne leur pardonnait pas d’avoir osé résister aux Alliés, et d’en avoir tué, sur les chemins et dans les bois, un assez bon nombre. Napoléon ordonna à un brigadier de gendarmerie d’aller enlever ce fougueux fonctionnaire, et de le déposer dans la maison d’arrêt d’Avallon.

Le 17, l’Empereur arriva à Auxerre, où il séjourna. Ses forces, grossies par différents régiments accourus des garnisons voisines de sa route, ou qui, placés en travers de son chemin, l’avaient rejoint au lieu de se replier sur Paris, s’élevaient en ce moment à quatre divisions. D’Auxerre à Fossard, près de Montereau, la route côtoie l’Yonne, dans une distance de près de vingt-cinq lieues en ligne directe. Napoléon, pour alléger la fatigue des soldats et pour accélérer leur marche, fit embarquer les troupes[2]. Il restait, pour ainsi dire, sans escorte. Que lui importait ? il pouvait continuer d’avancer sans crainte. Quel que fût le régiment qu’il dût rencontrer, c’était un renfort qui lui arrivait. Ce qui survint à Montereau en fut un singulier exemple. Plusieurs détachements de la maison du roi, des gardes du corps entre autres, avaient été chargés d’en garder les ponts. Le 6e lanciers, posté au delà de cette ville, en éclairait les approches. Lorsque les soldats de ce régiment apprirent que l’Empereur n’était plus qu’à quelques lieues, ils tournèrent bride tout à coup, et, sans l’ordre d’aucun chef, sans autre inspiration que l’instinct militaire et le dévoue-

  1. « Un freluquet, » dit le Moniteur du 23 mars.
  2. « Il fit venir le chef de la marine, et se fit rendre compte du nombre de ses bateaux, des moyens de prévenir les accidents, etc. Il entra avec lui dans de tels détails, que cet homme avait peine à revenir de sa surprise et à comprendre comment un empereur en savait autant qu’un batelier. » (Mémoires de M. de Chaboulon.)