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— 1815 —

autorités des gens sans courage ou d’anciens émigrés[1] ? » À Tournus, où l’Empereur arriva vers le milieu de la journée du lendemain 14 ; à Châlons-sur-Saône, où il coucha, il combla, en revanche, les habitants d’éloges. Ces deux villes avaient glorieusement résisté à l’invasion ; Châlons, place ouverte et sans garnison, avait défendu pendant quarante jours le passage de la Saône. Il y reçut une députation de Saint-Jean-de-Losne ; cette petite ville, fidèle aux souvenirs d’une défense héroïque au seizième siècle, avait également opposé aux Autrichiens la résistance la plus énergique. « Je ne puis me rendre chez vous, dit-il aux membres de la députation ; je le regrette : dites à votre digne maire que je lui donne la croix ; car c’est pour vous, braves gens, que j’ai institué la Légion d’honneur, et non pour les émigrés pensionnés par nos ennemis. » Le 15, il vint coucher à Arnay-le-Duc, et le 16 à Avallon. L’enthousiasme du peuple des villes et des gens de la campagne ne faiblissait pas. Partout on se portait à sa rencontre, on le sa-

  1. Voici en quels termes M. Fleury de Chaboulon, qui avait rejoint l’Empereur à Lyon, et qui l’accompagna depuis cette ville jusqu’à Paris, raconte cet incident dans ses Mémoires :
    « Il n’avait plus besoin, comme à Grenoble et à Lyon, d’attendre aux portes des villes : les magistrats accouraient à sa rencontre et se disputaient l’honneur de lui présenter les premiers leurs hommages et leurs vœux. L’un des adjoints du maire de Mâcon lui déclama un long amphigouri qui nous amusa beaucoup. Quand il eut fini, l’Empereur lui dit : « Vous avez donc été bien étonnes d’apprendre mon débarquement ? — Ah ! parbleu oui, répondit l’orateur. Quand j’ai su que vous aviez débarqué, je disais à tout le monde : Il faut que cet homme-là soit fou ; il n’en réchappera pas. » Napoléon ne put s’empêcher de rire de cette naïveté. « Je sais, dit-il en souriant, que vous êtes un peu sujets à vous effrayer ; vous me l’avez prouvé dans la dernière campagne. Vous auriez dû vous conduire comme l’ont fait les Châlonnais ; vous n’avez point soutenu l’honneur des Bourguignons. — Ce n’est point notre faute, Sire, reprit un des assistants, nous étions mal dirigés ; vous nous aviez donné un mauvais maire. — Cela est possible, nous avons tous fait des sottises ; il faut les oublier. Le bonheur et le salut de la France, voilà désormais le seul objet dont nous devons nous occuper. Il les congédia amicalement.
    Le préfet avait battu en retraite. L’Empereur demanda son nom. C’était un nommé Germain, qu’il avait fait comte et chambellan sans trop savoir pourquoi. « Comment ! me dit-il, ce petit Germain s’est cru obligé de me fuir ? Il nous reviendra. » Et il ne s’en occupa plus. »