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— 1815 —

Sire. — Je ne le crois pas non plus. Quand ils entendront tonner mon nom, ils trembleront, ils sentiront qu’une prompte fuite est le seul moyen de m’échapper. Mais que fera la garde nationale ? Croyez-vous qu’elle se battra pour eux ? — Je pense, Sire, qu’elle gardera la neutralité. — C’est déjà beaucoup... Et les maréchaux, que feront-ils ? — Les maréchaux, comblés d’honneurs et de richesses, n’ont plus rien à désirer que le repos. Ils craindront, en embrassant un parti douteux, de compromettre leur existence, et peut-être resteront-ils spectateurs de la crise. Peut-être même la crainte que Votre Majesté ne les punisse de l’avoir abandonnée ou trahie en 1814 les portera-t-elle à embrasser le parti du roi. — Je ne punirai personne, entendez-vous ! s’écria l’Empereur. Dites-le bien à X..., je veux tout oublier ; nous avons tous des reproches à nous faire... Quelle est la force de l’armée ? — Je l’ignore, Sire ; je sais seulement qu’elle a été considérablement affaiblie par les désertions, par les congés, et que la plupart des régiments ont à peine trois cents hommes. — Tant mieux ; les mauvais soldats seront partis, les bons seront restés. Connaissez-vous le nom des officiers qui commandent sur les côtes et dans la 8e division ? — Non, Sire. — Comment X..., dit-il avec humeur, ne m’a-t-il pas fait savoir tout cela ? — M. X..., Sire, était, ainsi que moi, bien loin de prévoir que Votre Majesté prendrait sur-le-champ la généreuse résolution de reparaître en France. Il pouvait croire, d’ailleurs, d’après les bruits publics, que vos agents ne vous laissaient rien ignorer de tout ce qui pouvait vous intéresser. — J’ai su effectivement que les journaux prétendaient que j’avais des agents... C’est une histoire. J’ai envoyé en France, il est vrai, quelques hommes à moi pour savoir ce qui s’y passait ; ils m’ont volé mon argent et ne m’ont entretenu que de propos de cabarets ou de cafés... Vous êtes la première personne qui m’ait fait connaître sous ses grands rapports la situation de la France et des Bourbons. J’ai bien reçu, sans trop savoir de quelle part, le signalement d’assassins soudoyés contre moi et une ou deux lettres anonymes, de la même main, où l’on me disait d’être tranquille, que les broderies reprenaient faveur, et autres bêtises semblables ; mais voilà tout. Ce n’est point sur de pareilles données qu’on tente un bouleversement. Mais comment pensez-vous que les étrangers prendront mon retour ? Voilà le grand point, ajouta l’Empereur d’un air préoccupé. Cependant je regarde comme certain que les rois qui m’ont fait la guerre n’ont plus la même union, les mêmes vues, les mêmes intérêts... Tout considéré, les nations étrangères ont de grands motifs pour me faire la guerre, comme elles en ont pour me laisser en paix. Je ne suis pas encore fixé sur le jour de mon départ. En le différant, j’aurais l’avantage de laisser le congrès se dissoudre ; mais aussi je courrais le risque, si les étrangers venaient à se brouiller, comme tout l’annonce, que les Bourbons et l’Angleterre ne me fissent garder à vue par leurs vaisseaux. Au reste, ne