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— 1815 —

Si ce dernier avait agi en prévision de l’avenir, en vue des intérêts généraux de l’Europe et des intérêts particuliers de la France, peut-être aurait-il dû soutenir la proposition de faire revivre l’ancien royaume de Pologne, et s’efforcer de le reconstituer avec un territoire assez étendu et des éléments de puissance assez énergiques pour rendre inévitables sa séparation future de la Russie et son indépendance. Cette combinaison pouvait fournir à la France la chance de recouvrer dans le Nord une alliance qui ne lui avait jamais failli, et donner à l’Europe occidentale une barrière assez forte pour la protéger contre les envahissements de l’ambition russe. M. de Talleyrand ne voyait ni d’aussi haut ni aussi loin.

Il était arrivé au congrès de Vienne avec deux idées préconçues, passées chez lui à l’état d’idées fixes : constituer l’alliance de l’Autriche, de l’Angleterre et de la France ; obtenir la restauration des Bourbons à Naples.

M. de Talleyrand avait soixante ans en 1815 ; son éducation politique appartenait au siècle précédent. Élève des encyclopédistes, il avait abordé la Révolution et les affaires publiques avec l’engouement de l’école philosophique du dix-huitième siècle pour la politique du duc de Choiseul. À l’époque où ce ministre dirigeait le cabinet de Louis XV, l’Angleterre et la maison d’Autriche étaient les puissances contre lesquelles la France avait eu à soutenir ses luttes les plus acharnées. La Prusse, née, pour ainsi dire, de la veille, ne pesait pas alors d’un poids bien lourd en Europe. Contenue par la Pologne, la Russie ne faisait pas encore sentir son action au delà du Niémen. Une alliance entre les cours de Londres, de Paris et de Vienne, les constituait dès lors arbitres souveraines du continent et assurait aux trois gouvernements le double avantage d’une prépondérance incontestée et d’une longue paix. Cette alliance était un rêve de M. de Choiseul en 1763 ; elle devenait, en 1815, un véritable anachronisme ; mais, par une singularité, résultat de la confusion politique de l’époque, elle empruntait à une question tout à la fois politique et de famille, à la ques-