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— 1815 —

l’ordre dont il était grand chancelier. La libéralité du gouvernement, sous tous ces points, était littéralement sans bornes. Il suffit d’ouvrir le Moniteur de 1814 pour se convaincre que, dans les seuls mois d’août, de septembre, d’octobre, de novembre et de décembre, on délivra plus de lettres de noblesse, on accorda plus de titres de marquis, de comte, de vicomte et de baron que pendant les deux derniers siècles de la Monarchie ; dans le même espace de temps on distribua plus de croix de la Légion d’honneur que Napoléon n’en avait donné durant douze ans de règne. La plupart des pages de la feuille officielle, à cette époque, sont consacrées à enregistrer les noms des anoblis, des nouveaux titrés et des nouveaux décorés. Ces listes sont indépendantes d’autres nominations tout aussi nombreuses, et annoncées en bloc dans les termes suivants : «Le roi, par ordonnance de tel jour, a confirmé les 250, les 300, les 350 décorations données dans tel département par le duc de Berri, le duc d’Angoulême ou le comte d’Artois. » La profusion prit des proportions telles, que l’opinion publique vit, dans ce débordement de nouveaux titres nobiliaires et de décorations, un parti pris de déprécier, ainsi que le dit M. Mollien, les titres de la noblesse impériale[1], et d’avilir au profit de l’ancien ordre militaire de Saint-Louis l’ordre de chevalerie que Napoléon avait fondé, et qui, par un étrange renversement d’idées, venait d’être placé sous le patronage d’Henri IV. L’armée, déjà blessée dans ses intérêts et dans tous ses souvenirs, s’irrita de voir ainsi prodiguée une décoration qui, pour elle, était la plus enviée des récompenses ; la clameur, dans tous les régiments, devint si forte, que le maréchal Soult, dont on ne saurait suspecter la complaisance ni l’humilité, fut obligé de solliciter une ordonnance qui imposait, pour l’obtention de chaque grade, les conditions suivantes : pour la croix de chevalier, vingt-cinq ans de services

  1. Voyez plus haut, pages 144 et 145. Ces nombreux anoblis et nouveaux titrés de 1814 formaient la troisième classe de noblesse dont parle cet ancien ministre.