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lutionnaires que lui-même avait professées longtemps, suspectaient son attitude discrète, et l’accusaient de nourrir la pensée, attribuée depuis Louis XIV aux chefs de la branche cadette, de se substituer sur le trône aux Bourbons leurs aînés. Lors même que cette accusation n’aurait pas naturellement appelé sur le duc d’Orléans l’attention d’une assez nombreuse partie du public politique, l’accueil que trouvaient chez lui quelques-unes des principales notabilités de l’Empire et des premiers jours de la Révolution ; ses formes polies, caressantes, presque populaires ; son langage exempt des préjugés qui dominaient à la cour et dans le gouvernement, auraient suffi pour le désigner aux espérances des hommes qui avaient salué, dans le retour de l’ancienne famille royale, l’avénement d’une monarchie constitutionnelle. « Le duc d’Orléans est le seul membre de sa famille qui ait des idées libérales ; quant aux autres, n’en espérez jamais rien, » avait dit Alexandre dans les salons de madame de Staël, aux premiers jours de la Restauration[1]. Le mot avait été recueilli, répété : Louis XVIII, son frère, ses neveux et son gouvernement firent le reste. Dès les derniers mois de 1814, cette classe nombreuse et influente de fonctionnaires publics, de propriétaires, de négociants et de gens de loi qui confondaient dans une réprobation commune la République, l’Empire et l’ancien régime, se ralliait au nom du duc d’Orléans. On ne devait pas se borner à poser sa candidature ; on devait pousser le

    roi. « Ah ! monsieur l’archevêque, s’écrie le vieillard, que je suis aise de vous voir ! » Puis, s’emparant de la conversation et causant du passé, il s’emporte en invectives contre la Révolution, l’Empire et tous ceux qui les avaient servis. « Il était fâché de le dire, ajoutait-il, mais, de tous ces coquins, le plus odieux était, sans contredit, le neveu de l’archevêque, qui, doublement apostat comme gentilhomme et comme prêtre, se trouvait être un des principaux ministres de Buonaparte lors de l’assassinat de son petit-fils (le duc d’Enghien.) » M. de Talleyrand ne disait mot et gardait le plus beau sang-froid. Enfin il se lève pour se retirer. « Adieu, monsieur l’archevêque, lui dit le prince ; revenez me voir : mais, je vous en conjure, ne m’amenez jamais le drôle que vous avez le malheur d’avoir pour neveu ; car, s’il paraissait ici, je serais obligé de le faire jeter par les fenêtres. »

  1. Voyez la note, pages 88 et 89 du présent volume.